ïkiryu Corbeil- Essonnes, cours d'aïkido à Corbeil-Essonnes

Textes

Entretien avec Charles Abelé, hiver 2006

(extrait de la Lettre de la F.AAGE n°13)

— Pouvez-vous évoquer votre rencontre avec l'aïkido?

— J'ai failli commencer à l'âge de douze ans mais c'est finalement à 23 ans qu'un ami m'a entraîné dans un dojo. La vraie question est pourquoi j'y suis resté. Les premiers mois étaient durs physiquement et j'enchaînais les blessures. Je suis pourtant resté, surtout parce que j'y avais de bons amis. Puis au cours d'un stage à la fin de la première année, j'ai rencontré Maître Kobayashi. Immédiatement il m'est apparu que c'était cet aïkido que je voulais pratiquer. J'ai donc suivi Maître Kobayashi lorsqu'il se trouvait en
Europe tout en continuant ma pratique au sein de la fédération. À l'époque, même s’il y avait certaines inimitiés entre les différents styles et les différentes approches de l'aïkido, les choses étaient beaucoup plus ouvertes qu'aujourd'hui pour les pratiquants qui, à l'occasion de stages, pouvaient circuler librement entre les différents courants.
La structure dans laquelle vous évoluez ne peut empêcher votre démarche personnelle. N'oubliez pas que c'est vous qui faites votre pratique. Il faut avoir la curiosité d'aller voir ce qui se fait ailleurs de façon à comprendre votre choix. Le fait que l'école à laquelle vous appartenez rende votre pratique plus facile ne doit pas vous faire sombrer dans la facilité.
En changeant le nom de l'école, les kanjis ont également changé, nous sommes passés du terme d'aïkido à celui d'aïkiryu, et apparaît le kanji du“dragon” (ryu), qui symbolise la transformation… La notion de transformation est au coeur de notre école. C'est pour cela qu'il y a parfois des résistances. Dix ans, c'est la fin d'un cycle et le début d'une nouvelle boucle. La mise en place des arts du geste participe à ce nouveau cycle ainsi qu'à de nouvelles rencontres, comme celle qui eût lieu cette année avec le centre Karma Ling.
Ma maladie a elle aussi entraîné des transformations. Elle m'a obligé à lâcher certaines choses. C'est mon histoire personnelle mais comme elle me permet d'avancer, elle fait avancer l'école toute entière. Dans ce contexte, il me faut appliquer un principe fondamental de l'aïki : intégrer.

— Pourquoi avoir créé une école ?

— Avant la création de l'école, j'avais déjà enseigné durant des années, ouvert de nombreux dojos, formé des enseignants qui avaient eux mêmes ouvert des dojos et formé d'autres enseignants. J'étais même le responsable technique pour le Nord de la France au sein de l’école à laquelle j'appartenais.
Ce que devait exactement être cette nouvelle école n'était pas très clair pour moi au début. Mais comme mon départ a été suivi par des enseignants de plusieurs dojos en France, l'idée de se regrouper est apparue. Aussi m'a t'il fallu, en quelque sorte, faire un grand nettoyage. Que je fasse mes deuils de la rupture consommée avec mon enseignant. Car en créant ce qui s'appelait alors l'AAGE, j'avais l'impression de sortir de la filiation. C'est paradoxalement suivre une tradition établie dans les arts martiaux traditionnels que de partir. Dans ce contexte, il est admis qu'un élève quitte l'école de son maître et prenne un nouveau nom pour son école voire change le nom de sa pratique afin qu'il soit seul porteur de son changement.
J'ai été incité à partir et je savais que c'était le moment. De toute façon, il faut quitter son maître pour être véritablement créateur, même si parfois cela doit se faire dans la douleur. Il est important de ne pas oublier cela quand on enseigne.
Cela m'a pris dix années pour savoir ce qu'était véritablement cette école que j'avais décidé de créer. L'un des signes visibles de l'aboutissement de ma réflexion sur cette nouvelle fondation est la disparition des portraits de O Senseï et de Maître Kobayashi au kamiza du Hombu dojo. Déposer au Tokonoma le portrait d'un maître n'est pas dans la tradition. C'est une habitude occidentale.
Aujourd'hui, je préfère que soit déposé, par exemple, une calligraphie reflétant le sens de notre pratique. Comme un témoignage de cette nouvelle énergie surgie avec l'affirmation de l'école. C'est la nature qui est là pour nous enseigner. C'est cette énergie qui est maintenant au kamiza, faisant écho à une conception plus bouddhiste de la filiation.
Créer une école, c'est accepter que l'on ne soit plus rien. J'ai pu le faire car j'en avais envie. L'envie, c'est votre guide dans la pratique.

— Qu'est-ce qu'un aïkidoka ?

— Littéralement, c'est un expert en aïkido. Mais ce qui est important, c'est ce que chacun fait. Vous devez pratiquer ce que vous aimez et surtout, de la façon dont vous l'aimez. Quand j'étais chez Maître Nocquet, j'ai éprouvé le besoin de faire du yoga. J'ai même passé un diplôme et enseigné le yoga un temps. Il me manquait une pratique interne dans la forme d'aïkido que je suivais alors. Ma rencontre avec l'aïkitaïso m'a fait arrêter cette pratique dont je n'avais plus besoin.
Le passage du shodan est une étape essentielle. C'est le moment où l'on commence à s'approprier sa voie : cela est marqué par le port du hakama qui incarne cet engagement. Le hakama est porteur de l'histoire de chaque pratiquant.

— Souvent vous insistez sur la relation “horizontale” de frères d'armes qui concerne des pratiquants progressant ensemble sur la voie, pourquoi celle-ci est-elle si importante et en quoi permet-elle aussi, en complément de la relation “verticale” de sempaï/kohaï, de structurer l'école ?

— Avoir un frère d'armes, c'est une chance. C'est un soutien en plus dans la pratique. La relation naît de temps forts, d'expériences et d'histoires partagées. Il ne peut y avoir de faux-semblants car elle permet un véritable dialogue, une aide. Il ne peut pas non plus y avoir de frères d'armes sans amour. C'est une relation qui reste gravée dans le coeur. Il faut savoir profiter des espaces qui s'y créent, les prendre avec chaleur. Quand on a vécu les mêmes épreuves ensemble, on est plus fort ensemble. Il ne faut pas voir cette notion comme l'instauration de “castes“ mais comme une opportunité de créer des liens d'amitié qui sont des aides sur le chemin. Ce sont sans doute parmi les moments les plus forts dans la vie d'un pratiquant.

— Que transmet-on par le geste ?

— Notre art s'exprime par le corps. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que c'est vous qui transmettez, pas le geste. Un enseignant d'aïkiryu peut se protéger ou bien comprendre le lien qui l'unit à son élève au travers du geste et entrer dans la transmission. Il faut montrer le chemin et pour cela, connaître le processus interne des techniques. Alors il est possible de faire une remarque sur la posture, le geste technique. Par exemple, quand je donne un cours, il m'arrive souvent de voir un élève faire correctement le travail proposé alors que je m'approchais de lui pour lui apporter une correction dans son travail. La présence seule de l'enseignant peut suffire pour montrer le chemin.

— À quel besoin interne correspond ce qui est ainsi reçu ?

— Dans la vie, il n'y a pas de mauvais choix. Comme enseignant, la difficulté est de savoir ce que la vie nous donne. Chacun est dans son monde, même si nous partageons des choses en commun. N'importe quelle voie peut permettre à l'individu d'ouvrir les yeux. L'important, ce n'est pas le moyen mais c'est de savoir saisir ce que la vie nous enseigne.
C'est cela, être au coeur de sa vie. La question centrale étant, que faire de sa vie…?
Ce qui est important, c'est le chemin, être constamment en état de transformation. Or tout le monde a cette possibilité. Nous avons tous tendance à sectoriser les choses, pourtant tout le monde est en état de transformation. C'est le sens même du mot vie.

— Quelle est la relation juste entre élève et enseignant ?

— C'est une question piège ! Il n'existe pas de relation idéale, ou de relation juste qui soit valable pour tous. La bonne relation c'est celle que chaque élève entretient avec son enseignant. Il faut que chacun soi présent et reste soi-même en ayant l'envie d'apprendre. Celui qui n'est pas présent ne peut pas recevoir. Il n'apprend rien. Ce qui est juste, c'est d'être soi même.

— Quelle ouverture propose l'aïkiryu avec le monde ?

— Les pratiquants doivent intégrer le message de l'aïki dans leur vie. S'approprier son héritage : des notions comme le conflit créateur, le concept de victoire juste, etc. Cela peux ouvrir des espaces dans la vie même de chacun. Réussir à appliquer ces principes dans sa vie, c'est déjà une victoire. Tout est alors possible. Demandez-vous pourquoi beaucoup de pratiquants changent leur vie professionnelle alors qu'ils avancent dans la pratique. Ce que nous offre notre pratique, c'est un moyen de travail sur soi et un outil de communication extraordinaire. Un moyen d'approche spirituelle aussi. Cependant, il ne s'agit pas de mettre en place des formes artificielles pour ensuite lutter avec elles. Ce qui est important, c'est de s'approprier l'aïki et d'être en accord avec ce que l'on croit.
Voilà le sens du travail interne proposé : s'approprier sa vie.

Entretien réalisé par Anne Gaëlle Bader, Frank Péquignat, Michel Roquier et Marc Rochette.

Abelé Shihan
hiver 2006


Autres entretiens avec Charles Abelé

Entretien avec Charles Abelé, octobre 2003
Charles Abelé, enseignant d'aïkido
Entretien avec Charles Abelé, janvier 2004
Entretien avec Charles Abelé, juin 2004
Entretien avec Charles Abelé, automne 2004
Aï Inochi Tchie, Charles Abelé, hiver 2006
 

Copyright © 2011 CE